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II-c. Pathologie digestive. Pancréas

Pathologie digestive - c) Pancréas

Item 308 – Tumeurs du pancréas

Auteures Charlotte Dufour, Florence Renaud

I.   Prérequis

II.   Généralités

III.   Adénocarcinome du pancréas

IV.   Tumeurs neuroendocrines du pancréas

Hiérarchisation des connaissances Tableau 1 

I. Prérequis

Le pancréas est une glande mixte, endocrine et exocrine (Figure 6.1).

•   Le pancréas exocrine est constitué de cellules acineuses, formant des acini regroupés en lobules, sécrétant les enzymes pancréatiques, drainées par les canaux excréteurs (canaux intralobulaires, puis interlobulaires et canaux collecteurs, jusqu’au canal de Wirsung). Le canal de Wirsung est également appelé conduit pancréatique principal tandis que les autres canaux correspondent aux conduits pancréatiques secondaires.

•   Le pancréas endocrine est représenté par les îlots de Langerhans, dispersés au sein des lobules pancréatiques. Ces îlots sont constitués de différents types de cellules qui se distinguent par l’hormone qu’elles sécrètent (insuline, glucagon, somatostatine, polypeptide pancréatique).

II. Généralités

Le pancréas peut être le siège de différents types de tumeurs épithéliales :

•   bénignes ou malignes ;

•   solides ou kystiques ;

•   de nature endocrine ou exocrine.

L’adénocarcinome pancréatique est la tumeur la plus fréquente du pancréas (90 % des cas). Il se développe à partir des cellules des canaux excréteurs et est également connu sous le nom d’adénocarcinome excréto-canalaire pancréatique. Les tumeurs neuroendocrines, bien que plus rares, sont les deuxièmes tumeurs les plus fréquentes. Il existe également d’autres types de tumeurs épithéliales, beaucoup plus rares (carcinome à cellules acineuses, tumeur pseudo-papillaire solide et kystique, etc.).

III. Adénocarcinome du pancréas

A. Épidémiologie

En France, l’incidence annuelle du cancer du pancréas est estimée à 14 000 nouveaux cas. Depuis plus de 10 ans, on assiste à une forte augmentation de son incidence. Le cancer du pancréas est ainsi passé au deuxième rang des cancers digestifs. L’âge de survenue se situe le plus souvent entre 60 et 70 ans et la prévalence est identique dans les deux sexes. Le diagnostic est souvent tardif, à un stade non résécable dans plus de 80 % des cas. Le pronostic est très péjoratif avec une survie globale à 5 ans de 5 à 10 %, tous stades confondus.

B. Facteurs de risque

Le tabac est le seul facteur de risque environnemental (exogène) clairement reconnu. Les facteurs de risque endogènes identifiés sont le diabète de type 2 (ancien), l’obésité et la pancréatite chronique (d’origine alcoolique ou héréditaire). Par ailleurs, le risque de survenue est très significativement augmenté en cas d’antécédent familial du 1er degré de cancer du pancréas. Il existe également des syndromes de prédisposition génétique au cancer du pancréas (rares). La suspicion d’un syndrome de prédisposition génétique au cancer du pancréas doit amener à proposer une consultation d’oncogénétique.

C. Lésions tissulaires précancéreuses

Il existe plusieurs types de lésions précancéreuses à risque de dégénérescence vers un adénocarcinome pancréatique :

•   la néoplasie intra-épithéliale pancréatique (aussi appelée PanIN pour pancreatic intraepithelial neoplasia) (Figure. 6.2). Ces lésions sont par définition de petite taille et non détectables par les méthodes d’imagerie.

Elles sont uniquement visibles en microscopie, principalement observées sur pièces opératoires, en périphérie ou au sein d’un foyer d’adénocarcinome pancréatique. Elles sont généralement multifocales, intéressant les conduits secondaires et/ou le conduit principal. Elles correspondent à des modifications néoplasiques des cellules bordant les canaux excréteurs. La dysplasie peut être de bas grade ou de haut grade, en fonction du degré d’atypie cytonucléaire et de la complexité architecturale ;

•    la tumeur intracanalaire papillaire et mucineuse du pancréas (TIPMP) (Figure. 6.3).

Histologiquement, il s’agit d’une prolifération épithéliale développée au sein des canaux excréteurs, constituée de cellules produisant du mucus et formant des papilles. À l’inverse des lésions de PanIN, cette tumeur est visible en macroscopie et donc en imagerie, en raison de la dilatation kystique des canaux causée par l’accumulation endoluminale de mucus. Elle s’accompagne de lésions de dysplasie épithéliale, de bas grade ou de haut grade. Cette prolifération peut être focale (segmentaire) ou diffuse et se développer au sein du conduit principal et/ou des conduits secondaires. Le risque de transformation en carcinome infiltrant est plus important en cas d’atteinte du conduit pancréatique principal ;

•    La tumeur kystique mucineuse (ex-cystadénome mucineux) (Figure. 6.4). Il s’agit d’une lésion kystique, sans connexion avec les canaux excréteurs, à l’inverse des TIPMP.

Cette tumeur est bordée par un épithélium mucosécrétant, présentant des lésions de dysplasie de bas grade ou de haut grade. Le revêtement épithélial repose sur un tissu fibreux ressemblant au tissu conjonctif ovarien (« stroma ovarien »). Un foyer d’adénocarcinome invasif est associé dans 15 à 30 % des cas.

La TIPMP et la tumeur kystique mucineuse restent cependant des lésions rares qui ne précèdent qu’une faible proportion des adénocarcinomes du pancréas.

D. Diagnostic

Le diagnostic d’adénocarcinome du pancréas est suspecté devant une symptomatologie évocatrice (signes généraux et/ou symptômes en lien avec la localisation de la tumeur) et la mise en évidence d’une lésion à l’imagerie. En cas de forte suspicion clinique de tumeur (ictère nu avec altération de l’état général), le scanner thoraco-abdomino-pelvien avec injection de produit de contraste est l’examen de référence pour mettre en évidence la lésion, évaluer son extension locale (rapport avec les axes vasculaires péripancréatiques) et à distance (métastases hépatiques, carcinose péritonéale, etc.). En cas de tumeur typique résécable chez un patient opérable, l’exérèse chirurgicale est souvent proposée sans biopsie préalable et le diagnostic histologique se fait sur la pièce d’exérèse chirurgicale. En revanche, une preuve histologique par biopsie doit être obtenue en cas de tumeur non résécable, de doute diagnostique persistant entre adénocarcinome et tumeur bénigne, ou lorsqu’un traitement néoadjuvant est envisagé. Un site métastatique peut être biopsié (métastase hépatique par exemple). En l’absence de site métastatique, la lésion pancréatique peut faire l’objet d’une ponction sous échoendoscopie. Le compte rendu anatomopathologique permet de poser le diagnostic d’adénocarcinome et de préciser éventuellement le sous-type histologique. Les adénocarcinomes excréto-canalaires pancréatiques sont des cancers épithéliaux classés en fonction de leur différenciation (bien/moyennement/peu différenciés) (Figure. 6.5).

E. Principes du traitement et anatomopathologie

L’exérèse chirurgicale avec limites de résection saines est le seul traitement à visée curative possible. Au diagnostic, seuls 15 à 20 % des patients y sont éligibles d’emblée (absence de métastase ou d’envahissement trop important des axes vasculaires péripancréatiques). Après chirurgie, une chimiothérapie adjuvante est recommandée. Une chimiothérapie d’induction avant potentielle chirurgie est proposée dans certains cas, notamment en cas d’adénocarcinome pancréatique localement avancé ou de tumeur « limite » pour la chirurgie d’emblée.

1. Exérèse chirurgicale avec envoi de la pièce en anatomie pathologique

Le type d’exérèse chirurgicale est fonction de la localisation de la tumeur :

•   duodénopancréatectomie céphalique (DPC) avec curage ganglionnaire en cas de tumeur de la tête du pancréas (le plus fréquent) (Figure. 6.6) ;

•   splénopancréatectomie gauche avec curage ganglionnaire en cas de tumeur du corps ou de la queue du pancréas.

Au cours de la chirurgie, la tranche de section pancréatique est généralement envoyée en anatomopathologie pour examen extemporané, afin de s’assurer de l’absence d’infiltration tumorale. Durant une DPC, la tranche de section de la voie biliaire principale peut également faire l’objet d’un examen extemporané. L’encrage des limites (vasculaires notamment) par le chirurgien sur pièce de DPC permet d’optimiser l’évaluation des limites d’exérèse.

2. Examen anatomopathologique de la pièce opératoire

L’analyse histopathologique de la pièce opératoire est standardisée ; un nombre suffisant de ganglions doit être examiné et l’étude des limites avec mesures de la marge minimale est indispensable.

Éléments de l’examen anatomopathologique (données minimales définies avec l’INCa, 2011)

•   Type de résection et localisation de la tumeur

•   Type histologique suivant la classification de l’OMS en vigueur

•   Grade histologique (différenciation pour les adénocarcinomes en l’absence de traitement néoadjuvant)

État des limites chirurgicales de résection

•   État de la limite de résection pancréatique (saine/envahie). Si saine : marge minimale (en mm) ;

•   État de la limite de résection biliaire si DPC (saine/envahie). Si saine : marge minimale (en mm) ;

•   État des limites rétropéritonéale et vasculaires (au contact de l’axe veineux mésentérico-porte et de l’artère mésentérique supérieure) : saine/envahie. Si saine : marge minimale (en mm). Pour les adénocarcinomes canalaires, lésions de néoplasie intra-épithéliale pancréatique (PanIN) : présentes/absentes.

Autres facteurs pronostiques et prédictifs

•   Emboles vasculaires tumoraux : non/oui

•   Engainement périnerveux tumoraux : non/oui

Critères permettant de déterminer le pT/pN

•   Critères relatifs à la tumeur :

–   taille tumorale (cm)

–   extension tumorale au-delà du parenchyme pancréatique

–   atteinte des gros vaisseaux (tronc cœliaque, artère mésentérique supérieure, axe veineux mésentérico-porte)

•   Critères relatifs aux ganglions : nombre de ganglions envahis/nombre de ganglions examinés

Stade pTNM (selon l’édition en vigueur)

IV. Tumeurs neuroendocrines du pancréas

Il s’agit de tumeurs épithéliales, développées à partir des cellules des îlots endocrines pancréatiques. Les cellules tumorales ont des caractéristiques morphologiques et phénotypiques (expression protéique et hormonale) ressemblant à celles des cellules endocrines normales. Ces tumeurs sécrètent des hormones peptidiques par l’intermédiaire de grains sécrétoires cytoplasmiques et expriment des protéines communes avec le système nerveux, d’où le terme de cellules neuroendocrines.

A. Épidémiologie

Les tumeurs neuroendocrines sont les deuxièmes tumeurs les plus fréquentes du pancréas, représentant un peu moins de 5 % des tumeurs pancréatiques. Elles restent globalement rares avec une incidence annuelle d’un peu moins de 1/100 000 habitants.

B. Facteurs de risque

Dans 90 % des cas, les tumeurs neuroendocrines pancréatiques sont sporadiques. Les facteurs de risque, surtout exogènes, restent mal connus. Dans environ 10 % des cas, elles se développent dans un contexte de syndrome de prédisposition génétique aux tumeurs neuroendocrines pancréatiques. Les plus fréquents sont la néoplasie endocrinienne multiple de type 1 et le syndrome de Von Hippel-Lindau (VHL). La suspicion d’un syndrome de prédisposition génétique doit amener à proposer une consultation d’oncogénétique.

C. Diagnostic et examen anatomopathologique

Les tumeurs neuroendocrines pancréatiques peuvent être de découverte fortuite, parfois dans le cadre du bilan ou de la surveillance d’un syndrome de prédisposition génétique. Elles peuvent aussi être révélées par des manifestations cliniques en lien avec la localisation de la tumeur. Dans 25 % des cas, il s’agit de tumeurs fonctionnelles (sécrétantes), responsables de symptômes en lien avec une sécrétion hormonale. Les tumeurs fonctionnelles les plus fréquentes sont l’insulinome et le gastrinome.

L’examen anatomopathologique de la tumeur (sur biopsie par échoendoscopie ou sur pièce d’exérèse) permet de poser le diagnostic positif de tumeur neuroendocrine et d’en déterminer son grade.

1. Diagnostic positif

Le diagnostic positif repose sur des arguments morphologiques, complétés par une étude immunohistochimique. La nature neuroendocrine d’une tumeur est d’abord suspectée devant un aspect histologique évocateur, puis confirmée par l’expression d’au moins deux marqueurs de différenciation neuroendocrine. Les marqueurs les plus fréquemment utilisés sont la synaptophysine, la chromogranine A et le CD56 (Figure. 6.7).

2. Détermination du grade tumoral

Le grade tumoral est déterminé en fonction de la différenciation de la tumeur et de son activité proliférative (Tableau 6.1). Il s’agit d’un facteur pronostique majeur. Une tumeur neuroendocrine peut être bien ou peu différenciée. Une tumeur est dite « bien différenciée » lorsque sa nature endocrine est facilement reconnaissable. Les tumeurs neuroendocrines bien différenciées sont constituées de nids, de petits amas, de travées ou de pseudo-glandes (cf. Figure. 6.7). Les cellules tumorales ont un aspect identique les unes par rapport aux autres (aspect monotone). Leur cytoplasme est plutôt abondant et leur noyau souvent rond, avec une chromatine granuleuse, d’aspect « poivre et sel ». Lorsqu’une tumeur neuroendocrine est peu différenciée, il s’agit d’une tumeur hautement maligne. On parle alors de carcinome neuroendocrine. Dans ce cas, la tumeur est constituée de plages de cellules tumorales très irrégulières. De la nécrose tumorale est parfois présente. Parmi ces tumeurs, on distingue les carcinomes à petites cellules et les carcinomes à grandes cellules. L’activité proliférative de la tumeur est évaluée par le compte mitotique (nombre de mitoses pour une surface de 2 mm2) et par l’estimation de l’index de prolifération Ki-67, par technique d’immunohistochimie (Figure. 6.8) compté dans la zone la plus marquée sur un nombre minimal de 2 000 cellules. Le Ki-67 marque toutes les cellules en cycle, c’est-à-dire toutes les cellules sauf celles en G0.

3. Autres facteurs pronostiques

Un autre facteur pronostique majeur est le stade tumoral (pTNM), évalué sur pièce d’exérèse (la classification pTNM des tumeurs neuroendocrines bien différenciées du pancréas est différente de celle utilisée pour les adénocarcinomes pancréatiques). Le stade tumoral prend en compte la taille et l’extension locale de la tumeur (T), la présence de ganglions régionaux métastatiques (N) et la présence de métastase à distance (M). Une tumeur neuroendocrine bien différenciée peut tout à fait présenter des métastases. Le compte rendu anatomopathologique, en particulier sur pièce d’exérèse, doit également préciser la qualité d’exérèse et la présence ou non d’emboles vasculaires tumoraux et d’engainement périnerveux tumoraux.

4. Réseau de relecture spécialisé

En France, les tumeurs neuroendocrines du pancréas font l’objet d’une relecture systématique par un réseau anatomopathologique labélisé par l’INCa (TENpath).

Points clés

•   L’adénocarcinome pancréatique est la tumeur la plus fréquente du pancréas. Son incidence est en forte augmentation.

•   Le tabac est le seul facteur de risque environnemental (exogène) clairement reconnu.

•   Les tumeurs neuroendocrines sont les deuxièmes tumeurs les plus fréquentes du pancréas.

•   En cas de tumeur typique résécable chez un patient opérable, l’exérèse chirurgicale est souvent proposée sans biopsie préalable et le diagnostic histologique se fait sur la pièce d’exérèse chirurgicale.

•   Une preuve histologique par biopsie doit être obtenue en cas de tumeur non résécable, de doute diagnostique persistant entre adénocarcinome et tumeur bénigne ou lorsqu’un traitement néoadjuvant est envisagé. Un site métastatique peut être biopsié. En l’absence de site métastatique, la lésion pancréatique peut faire l’objet d’une ponction sous échoendoscopie.